Un chien Andalou, un monument du XX siècle
“Je n’ai pas l’habitude d’utiliser le mot “macabre”… mais si on me demandait un mot pour décrire Un chien andalou je choisirais ce mot-là.”
1929 est une année qui a marqué l’histoire, particulièrement celle de l’Espagne. Pendant qu’à Los Angeles la cérémonie des Oscars débutait, les Espagnols vivaient à la fois leur premier championnat de football professionnel ainsi que leur troisième coup d’État.
1929 a surtout été l’année où une œuvre qui marquerait l’histoire du cinéma au XX siècle a émergé. Il s’agit de Un chien andalou, un court-métrage franco-espagnol de 17 minutes. Son directeur est Luis Buñuel, né dans la province de Teruel, en Espagne en 1900. Communiste et athée, ce réalisateur est considéré comme une des figures du surréalisme du XX siècle.
Le peintre Catalan Salvador Dalí a également eu un rôle important dans le film. C’est son co-scénariste. Buñuel agé de 29 ans et Dali de 25, se sont rencontrés dans une résidence étudiante à Madrid en 1918 et ont participé ensemble dans plusieurs projets avant et après Un chien andalou. D’ailleurs, de nombreux critiques de cinéma ont dit que ce film reflétait l’ambiance de cette résidence d’étudiants.
Ce film n’aurait pas pu être réalisé sans la mère du directeur espagnol. Elle a donné à son fils 25 000 pesetas pour pouvoir le tourner. 25.000 pesetas sont aujourd’hui 150,253 euros. Il semblerait donc qu’il s’agissait d’un budget pas très haut, mais en 1929 cette quantité était plus très honorable pour un film. Les moyens pour mener à bien ce film étaient donc considérables équivalant à ceux d’un blockbuster américains de 2020. Je rappelle que le film contient de nombreux accessoires ( voitures, animaux) ainsi que des effets spéciaux ( main sans bras qui bouge) qui étaient sans doute chères.
Le tournage a eu lieu en France, plus concrètement à Paris et il a duré une quinzaine de jours. Le synopsis n’est pas évident à comprendre. Elle s’est conçu à partir des rêves de Dalí et Buñuel. En effet les deux artistes ont souhaité que chacune des séquences naissent de leur subconscient. Ces rêves étaient assez bizarres et macabres. Dalí songeait de fourmis fourmillant dans ses mains et Buñuel rêvait d’une lame de rasoir qui coupait la lune et un oeil en deux. Les aspects surréalisme et irrationnel de ce film étaient bien intentionnels. Buñuel a justement choisi ce titre Un chien Andalou car il ne gardait aucune relation avec le film. Un perro Andaluz, le titre en espagnol est aussi le titre d’un de ses livres où il compilait des comptes et des poèmes.
Un chien andalou a eu également beaucoup de succès dans d’autres pays. À Paris par exemple, là ou le film est sorti. Ensuite il a été diffusé au cinéma Studio 28 ( toujours à Paris ) pendant plusieurs mois. La capitale française n’a pas été choisit par hasard. Il s’agit d’une ville que le réalisateur espagnol a beaucoup fréquentée. Il y est parti très jeune pour y travailler. Après avoir eu différents emplois il a commencé travailler pour différents journaux espagnols pour lesquelles il écrivait des critiques de cinéma. Plus tard il a commencé sa carrière d’acteur en jouant des petits rôles dans plusieurs productions françaises comme Carmen ( 1926 ) ou La Sirena de los Trópicos ( 1927 ).
Les liens de Buñuel avec la France ne sont pas les seules raisons qui ont poussé le réalisateur a vouloir tourner le film à Paris. En 1929 l’Espagne passe un moment très délicat du point de vue politique. Le pays vient tout juste de souffrire un coup d’État, le troisième en sept ans. Son auteur est José Sanchez Guerra qui la fait pour mettre fin à la dictature de Primo de Rivera. La réaction de Primo de Rivera à cette révolte a été d’accentuer le caractère répressif de sa dictature. Buñuel qui a toujours été contre l’idéologie de ce dictateur à préférer en rester loin.
Malgré son manque de sens et de cohérence spatio-temporelle, Un chien andalou est devenu progressivement une œuvre culte. En effet il s’agit d’un film irrationnel dont l’intrigue est dure à comprendre au premier visionnage ( et même au dixième ). Les scènes ne sont pas limitées à un espace concret ni cohérent, les personnages peuvent apparaître n’importe où. Une action peut commencer à un endroit et se terminer dans un lieu complètement différent comme s’il s’agissait d’un rêve. En effet pendant les dix-sept minutes du film, nous vivons une expérience onirique.
Buñuel alterne les actions. En effet le film raconte deux histoires qui se produisent en même temps et qui finalement se croisent. Comme il s’agit d’une oeuvre surréaliste beaucoup de scènes n’ont aucune relation. La première scène du film par exemple, où on voit l’œil d’une femme coupé avec un rasoir n’a aucun lien avec le reste tant dit que d’autres oui. Buñuel fait ce qu’on dit en espagnol un “montage alterno” ( traduction littérale: montage alterné ). Il nous montre l’histoire de deux personnages simultanément qui finalement se rencontre. Par exemple, la femme qui lit un livre assis dans sa chambre et le cycliste qui pédale dans une rue déserte. Ensuite il s’arrête et tombe par terre et sans raison, la femme le rejoint et commence à l’embrasser.
Certains pourraient considérer ce court-métrage une torture visuelle, c’est d’ailleurs mon cas. En effet voire dès le début du film un homme couper l’oeil ( ou le sourcil j’ai fermé les yeux à ce moment ) est choquant. C’est limite du cinéma gore, dans le film 300 il y des scènes semblables… Ce n’est pas la seule scène surprenante et macabre du film. On y voit aussi des animaux pourris ainsi qu’une main sans bras bouger dans tous les sens. La plupart des scènes sont remplies de sexe, de violence ou encore de sacrilèges.
J’ai remarqué que le film n’est pas uniquement rempli de surréalisme et d’absurdité. Il y a aussi des critiques. La plus claire c’est celle que fait Buñuel à la répression sexuelle. Le comportement pervers du cycliste avec la femme l’illustre bien. L’éducation de l’église est aussi désapprouvé. On le voit lorsqu’il jette les choses par la fenêtre.
À l’aide de crânes et de symboles incompréhensibles, Buñuel nous avertit aussi de la décadence de l’être humain. Les fourmis représentent aussi la mort et ce déclin de l’homme. Elles sont également présentes dans beaucoup d’oeuvres surréalistes comme les peintures de Dalí.
La première guerre mondiale, la situation de l’Espagne et le crack de Wall Street ont sans doute poussé le réalisateur à avoir ce concept de l’humanité.
Tout ce drame contraste avec le titre car si on se réfère à un andalou, nous voyons un personnage heureux et doux. Le chien, par contre représente bien une figure triste à cette époque.
Passons à l’aspect technique. Comme la plupart des films des années 1920 Un chien andalou est muet et a été tourné en blanc et noir.
Les musiques sont très bien choisies. Elles sont en harmonie avec l’action, plus la scène est intense plus le son de la musique monte. Buñuel en a rajouté quelques années plus tard. Les images qui nous montrent la déshumanisation et la mort sont bien accompagné par la musique qui se répète souvent.
Pour ce qui concerne le montage il reste assez classique. On n’y trouve rien de surprenant. On y aperçoit des plans américains, des plans taille, des champs contre champs entre autres. Pour intensifier le drame du film Buñuel s’appuient de gros plans, sur les acteurs mais aussi sur d’autres éléments du film comme le papillon. Il utilise aussi beaucoup de fondu pour conclure les scènes. Buñuel utilise ce mode de montage pour enchaîner les scènes les unes après les autres. Ce n’est pas les seules outils cinématographiques qu’il utilise. On perçoit des flous, peut-être pour noyer certains détails ainsi que des ralentis. C’est peut-être la caméra mais il y a également des moments où on a l’impression que l’action s’accélère. On a cette sensation par exemple lorsque la femme marche.
Les deux artistes se sont séparés quelques années après le film. Buñuel avait des convictions politiques très éloignées du franquisme. Contrairement à Dalí qui malgré être catalan et de Figueras ( ville réputée pour être extrêmement catalane ) a bizarrement donné son soutient aux franquistes. Buñuel a décidé de s’exiler au Mexique lorsque la guerre civile espagnole s’est déclenché. Là-bas il a continué à faire des films. La plupart de ses longs-métrages ont d’ailleurs été réalisé au Mexique ou en France.
Je me suis beaucoup posé la question suivante: pourquoi ce film est considéré comme un chef-oeuvre ? Qu’a-t-il de si spécial ? Est-ce que c’est la notoriété de Dalí qui la rendu si connu ?
Je pense que ce film est la meilleure définition que l’on puisse donner au surréalisme. Son succès vient de là. Dalí n’a rien à voir ( ou très peu ) ce sont les scènes qui nous mènent vers l’inouï, vers la confusion, qui rendent ce film un monument. L’œuvre se limite à nous montrer ce que la caméra capte sans plus, sans préjugé. Je pense que Buñuel a fait ce film non pas pour être compris mais pour nous faire exalter des sensations et nous faire réfléchir. On pourra l’aimer ou pas, mais nous ne resterons pas indifférent…
Le film a influencé de grands réalisateurs du monde entier, encore même aujourd’hui. Lorsqu’on parle de cinéma surréaliste, pour la plupart c’est ce film qui nous vient à l’esprit. Charlie Chaplin ou même le grand Hitchcock se sont inspiré de cette oeuvre et particulièrement de la scène de l’oeil coupé.
Je me demande aussi pourquoi son succès a été dès sa sortie. Buñuel, qui s’attendait au pire a été le premier surpris de la réaction du public parisien. Savaient-ils déjà qu’il s’agissait d’un chef-d’oeuvre ? Ont-ils compris le lien du filme avec surréaliste dès le premier visionnage ? Je pense qu’il peut y avoir que deux possibilités, soit les spectateurs étaient tous des experts de cinéma, soit ils étaient tous très ouvert d’esprit…
Finalement je me pose la question suivante: si Un chien Andalou était sorti aujourd’hui en 2020, aurait-il eu le même succès ?